mardi 3 février 2009

Méditer sur le langage !

Une méditation sur le langage :

L'expression est une des diverses fonctions du langage, en l'occurrence celle par laquelle celui qui parle se met dans ce qu'il dit (il "s'exprime") ou met quelque chose dans ce qu'il dit (il "exprime") (quelque chose de ses idées, de ses sentiments, de son attitude à l'égard de ce qu'il dit, ou bien décrit la réalité).
Que se passe-t-il alors lorsque nous parlons ? Sommes-nous seuls avec nous-mêmes et nos constructions mentales et linguistiques, ou bien avons-nous un réel accès à l'essence, l'existence, le dynamisme, la conscience et la félicité des choses telles qu'elles sont ? Qu'est-ce qui se communique à travers le langage : un mental séparateur et diviseur, avec ses idées et ses sentiments, ou au contraire l'objectivité du monde, la Réalité elle-même ? Parler, est-ce "s'exprimer", c'est-à-dire communiquer à autrui une intériorité, ce qui se passe en nous, ou bien parler est-ce porter le monde au langage, décrire, célébrer la réalité à travers des mots ? on sait que Montaigne pensait que le langage n'est jamais aussi efficace que lorsqu'il "se surmonte lui-même", comprenant ainsi que le rôle d'une médiation, c'est de disparaître dans l'exercice même de sa fonction, au bénéfice de l'unité des choses médiées… Comment s'articulent, dans le langage, la pensée et les choses ?
Le problème se présente apparemment sous la forme d'une alternative : il faut se demander quel est le présupposé commun aux deux hypothèses : la première dit : le langage, c'est nous; la deuxième : le langage, ce sont les choses qui se disent à travers nous. Peut-être qu'avant de s'enfermer dans l'alternative, faudrait-il se demander si elle n'exclut pas d'emblée d'autres hypothèses, éventuellement plus fécondes, pour penser ce qu'est le langage.

Bref: le langage est-il la répercussion en nous d'une conscience cosmique, d'un mental universel, écho d'un Supramental encore plus haut dans l'échelle de l'être, de la conscience et de la jouissance de soi, ou bien, de notre mental seul ; ou bien encore, si c'est plus compliqué, médiateur du rapport d'un sujet capable e se purifier par une belle ascèse de ses désirs orgueilleux d'être possesseur du sens ? Les "pensées" et les "choses" sont-elles à ce point extérieures les unes aux autres qu'il faille choisir ?


Le langage : mise en paroles du monde ?

le discours scientifique : - la science se présente comme un discours théorique visant à rendre compte de la réalité; - constatant l'insuffisance du langage courant, elle est amenée à élaborer son propre langage , conceptuel et/ou mathématique, lui permettant de poser et de résoudre ses problèmes; - ce faisant, elle ne fait, selon la science classique depuis Galilée- , que déchiffrer le langage de la nature elle-même : c'est parce que la structure du monde est elle-même un langage (un ensemble de lois) que les mathématiques peuvent nous fournir l'instrument pour la déchiffrer. Mais ce langage n'est pas d'ordre expressif, il est d'ordre manipulatoire : la science est le vœu de maîtrise du monde. le prix à payer est si élevé que ce modèle d'objectivation de la réalité en arrive à sa limite théorique et pratique : les nouveaux types de modélisation langagières de la science tiennent compte de l'aspect global, holistique, du réel. mais les effets de ces nouveaux paradigmes cognitifs ne sont pas encore répandus dans le tissu social et n'influent qu'ave lenteur sur les instance décisionnelles (politiques, économiques), qui se débattent dans des "crises" dont elles analysent la nouveauté avec un langage périmé…


Qu'en est-il alors de l'interrogation philosophique ? Selon Platon, on le sait, la philosophie apparaît avec l'étonnement que fait naître en nous le contact du monde; - cet étonnement prend la forme d'un questionnement . Philosopher, c'est éprouver le besoin de penser et de s'interroger au contact des choses et des autres.
Ce questionnement donne lieu à un dialogue avec autrui : la pensée est " le dialogue intérieur et silencieux de l'âme avec elle-même". Ambiguïté de cette assertion : non seulement il faudrait se lancer dans la controverse traditionnelle qui est celle des rapports du "langage" et de la "pensée". Comme si la "langage" et la pensée" étaient deux choses différentes ! Or, il n'en est rien ! de même que "l'âme" et le "corps" sont une même chose vue sous deux points devue différents, de même langage et pensée sont deux versions d'une même puissance d'expression dans le fini des potentialités que l'Infini déverse continuellement dans l'espace et le temps de la parole pour lui conférer sa vie et sa vérité.
Sur un plan plus humain d'ailleurs, bien loin que le dialogue soit seulement l'expression de ma pensée intérieure, c'est plutôt la pensée qui résulte d'une intériorisation du dialogue avec autrui; - pour que le monde puisse être interprété, ne faut-il pas qu'il soit en partie constitué lui-même de signes, qu'il ait un sens que le philosophe, le poète, et l'homme de bonne volonté puisse ou doive déchiffrer? "Le monde est une grammaire que Dieu nous parle", dit Berkeley.


Mais parler, n'est-ce pas toujours, en principe, dire "je", explicitement ou implicitement ?
Voyons un aspect de la question du langage comme expression de la subjectivité:
C'est la fonction "illocutoire" chère aux linguistes : parler, c'est toujours dire "je", un "je" singulier ou pluriel : "nous". Aristote le sait : "les mots sont les symboles des états de l'âme" : les mots ne signifient pas les choses, mais expriment les pensées et les émotions; - dans toute parole est présente une fonction émotive à travers laquelle le sujet parlant s'exprime lui-même et exprime sa position vis-à-vis de ce dont il parle. Il n'y a pas de démonstration à la rigueur, il n'y aurait que des interprétations. mais attention, il n' y a chez Aristote aucune réduction "psychologique" de la fonction du langage. "L'âme", la psychè, est un aspect de la "physis", de la nature, et par conséquent ce qu'elle "dit", c'est ce qui se dit dans la nature.
Et si les mots n'étaient que des métaphores pour désigner les choses? On pense évidemment à Nietzsche et à son fulgurant écrit Vérité et mensonge au sens extra-moral. L'élaboration du langage est contemporain de la mentalité animiste (l'animisme est une croyance religieuse qui attribue – par projection ? – une âme aux choses et au monde), l'homme projetterait sa propre subjectivité sur les choses. "Partout où les hommes plaçaient un nouveau mot, ils croyaient avoir fait une découverte" (Nietzsche). En plaçant les mots sur les choses, ils avaient l'illusion d'avoir découvert des entités censées expliquer les phénomènes observés. Les mots peuplent le monde d'entités qui ne sont que des solutions verbales aux problèmes que l'esprit rencontre. Les mots de la langue ne sont donc que les symptômes d'un problème confusément perçu. Chaque mot n'est que le programme d'une science à naître, alors qu'il paraît d'abord être une explication. Le langage est donc à la fois l'organe et l'obstacle de notre relation au monde. Toutefois, ce n'est peut-être pas là le dernier mot (!) de Nietzsche. Mélomane et musicien (manqué, a-t-on dit) lui-même, Nietzsche, sait qu'il y a derrière les constructions de langage un silence primordial , réserve inépuisable de sens, qui alimente de ses sonorités infinies la prose toujours renouvelée des mondes.. Et le paradoxe n'est pas le moindre : l'Eternel Retour coïncide très exactement avec la perpétuelle nouveauté des choses ! l'absolue répétition et l'absolue nouveauté, s'identifient l'une l'autre dans des épousailles translangagières !
a) Mais la choséité de la chose n'a pas été examinée dans les passages précédents de notre travail. La choséité de la chose est-elle seulement possible hors de tout langage qui la qualifie a priori comme telle ? Une telle extériorité de la chose par rapport au langage et donc à notre pensée est un mythe sans consistance, comme si la "chose" pouvait exister dans une suffisance autarcique. Il n'en est rien. A moins de prôner une philosophie de l'absurde, entièrement irrationaliste, on doit admettre une pré ordination, une harmonie préétablie entre le langage, nos pensées et les choses. Bien sûr, cette harmonie ne va pas de soi, et bien des discordances, des dissonances s'interposent entre les termes en présence. Mais, l'acte de foi du philosophe, sa "confession" (Leibniz), c'est qu'il y a une "raison suffisante" de tout. La rejeter serait abandonner notre intelligence et notre cœur, le langage de l'âme (la poésie) et celui de l'intelligence (la logique et la science). plus prondément peut-être, les "choses" n'existent pas ! La "choséité" n'est alors qu'une projection de notre mental ayant pour nécessité impérieuse de vivre dans le monde de l'ignorance inférieure et de la matérialité grossière, et plus étroitement encore, sensible. Un monde de choses, c'est le simple corrélat de notre finitude, mais aussi la raison même de son dépassement. c'est dans la "mâyâ" inférieure, disent depuis des millénaires les Védas, que se voilent et se dévoilent, selon la réalité de l'organe-obstacle, les infinies richesses de la Mâyâ supérieure, celle du Mental cosmique, lui-même reflet du Supramental Infini et divin qui innonde toute réalité, de quelque ordre qu'elle soit, de son être, de sa conscience, de sa béatitude inf



le langage est donc bien plus qu'un moyen d'expression : une condition de la conscience, de notre mental : il n'y a pas, dans le fini, de conscience antérieure au langage que le langage n'aurait plus pour fonction que d'exprimer. La conscience, le mental lui-même naissent de leur confrontation au monde.Ce qui avaient inspiré au provocateur Nitzsche la thèse que la conscience est une conséquence et non une condition de la communication . Vérité partielle, donc erreur partielle !
Si les sentiments, par exemple, s'expriment et s'éprouvent toujours à travers des codes et se structurent à travers des mythes, des épopées , des romans, de la poésie ( l'amour courtois, l'amour romantique); si donc il y a un langage chiffré des sentiments et des passions, culturellement déterminé, et qui peut profondément varier d'une civilisation à une autre, il y a pourtant, à chaque fois, une totale intrication qui fait que ce n'est pas le langage qui "exprime", mais que ce sont les "choses" qui s'expriment à travers lui .
Le langage se fait alors docilité, humilité devant la sublimité du réel, en vérité, il se fait piété. Donnant à l'esprit un adversaire à sa mesure, la "chose" lui fournit l'occasion exigeante de s'incarner dans un langage qui la respecte et la révèle, la comprend sans la détruire

D'ailleurs, pour la science contemporaine, nous l'avons suggéré plus haut, les mathématiques ne constituent plus le langage de la réalité, mais celui de notre rapport à la réalité : les mathématiques sont le langage de notre mode d'accès à la nature, non celui de la nature elle-même, réputée inconnaissable en soi par les moyens de la pensée objectivante et constructiviste. Elles sont le langage de la physique, non celui de la nature - la science contemporaine n'est plus galiléenne . Dès lors, le statut des théories scientifiques est modifié : il ne s'agit plus de déchiffrer la nature, mais de construire des modèles pour la penser.
cela reste quand même une arme à double tranchant : tant que la science n'aura pas compris et accepté la différence d'essence etre le savoir et la Connaissance, elle restera prisonnière, malgrè l'incroyable complexité de ses modélisations, de sa cécité !
Demander si le langage exprime nos pensées ou les choses, c'est présupposer d'une part que la fonction du langage est une fonction d'expression, et d'autre part que le langage exprime soit les pensées, soit les choses.
Or, réduire le langage à un rôle d'expression, c'est dire aussi que, dans le fini, la conscience et les pensées préexistent d'abord comme intériorité pure, sans rien devoir au langage, et que les choses ne se constituent nullement comme choses précisément au moment où la prédication langagière les fait "choses", et que le langage n'intervient que dans un second temps pour permettre d'exprimer d'une part cette intériorité toute faite et d'autre part cette extériorité radicale. Or, n'avons nous pas besoin du langage pour pouvoir penser, avant d'exprimer, à travers lui, nos pensées ? Mais justement, il y a langage et langage ! Le langage de la prédication, qui fonctionne sur mode de la liaison d'un sujet et d'un prédicat par l'intermédiaire d'une copule, est-il le seul possible ? Non, évidemment non. la poésie, la mystique opèrent dans un autre registre et avec d'autres outils…
D'autre part, définir la conscience comme une intériorité pure constiutue aussi un problème, et repose sur le présupposé que la conscience n'emprunte rien au monde. C'est de l'acosmisme. Position discutable, tout comme celle qui dit que la conscience ne contient rien qu'elle n'emprunte au monde. la cosmicité de la conscience est tout aussi réelle que son intériorité. Ce n'est que le mental séparateur qui les projette dans un espace intellectuel de représentation où règne la division et les dualités. Définir la "chose" sans aucun rapport avec un langage ou une pensée, c'est ne rien définir du tout. mais la "chose" n'est que pour notre int"rêt ou notre confort. dans le monde réel, il n'y a pas de "choses", et il n'y pas de "langage" ! Il y a la Présence Totale de l'indicible :

"Celui qui parle ne sait pas, celui qui sait ne parle pas"

Profondément, l'accord secret qui régit la Parole et le Monde, dans une gratuité qui précède tout échange, pour une dette que nous ne pouvons rembourser, nous fait une liberté d'être des adorateurs de la Beauté, de l'Etre, de la Conscience, dans la Béatitude Infinie.

Shanti.

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